... de Charles Péguy ...
... Ce n'est pas du mot à mot, mais ce sont seulement quelques uns de ces mots ...
Notre Père qui êtes aux cieux …
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …".
Mon Fils leur a assez dit, que je suis leur Père, car celui qui a été Père, ne peut plus, que, être Père .
Ils sont les frères de mon Fils ; ils sont mes enfants ; et je suis leur Père .
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …".
Mon Fils leur a enseigné cette prière : vous prierez donc ainsi votre Père ... Il a bien su ce qu'il faisait ce jour-là, mon Fils qui les aimait tant, qui allait avec eux, qui parlait comme eux, et qui vivait comme eux .
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …".
Il souffrait comme eux, et mourut comme eux . Mais il les aime tant qui l'a rapporté dans le ciel un certain goût de l'homme, un certain goût de la terre . Et il les a tant aimé, qu'il les aime éternellement dans le ciel .
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …".
Mon Fils a mis cette barrière entre eux et moi, ces trois quatre mots . Cette barrière que ma colère, et peut-être ma justice ne franchira jamais . Heureux celui qui s'endort sous la protection de l'avancée de cette barrière, de ces trois quatre mots, de cette prière .
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …".
Oui, ces mots marchent devant toute prière, comme les mains jointes du suppliant marchent devant sa face, devant ses larmes qui coulent sur sa face . Ces quatre mots qui me vinquent, moi l'invincible . Ces mots qui s'avancent comme un bel éperon devant un pauvre navire .
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …".
Ces mots qui fendent le flot de ma colère . Et quand l'éperon est passé, le navire passe, et derrière lui, toute la flotte passe . Et c'est ainsi que je les vois . Et il faut que je les juge . Mais comment voulez-vous que je les juge après cela, car c'est ainsi que je les vois éternellement .
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …".
Mon fils a très bien su s'y prendre pour lier les bras de ma justice et pour délier les bras de ma miséricorde . A présent il faut que je les juge comme un père . On sait assez comment un père juge : …un homme avait deux fils . L'ainé lui réclama sa part, l'autre …
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …".
On sait assez comment le père jugea le fils qui était parti et qui est revenu . C'est encore le père qui pleurait le plus . Voilà ce que mon fils leur a conté . Mon fils leur a livré le secret du jugement même . Et à présent, voici comment ils me paraissent, voici comment je les vois .
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …".
De même que le sillage d'un beau vaisseau va en s'élargissant jusqu'à disparaître et se perdre dans les eaux, mais commence par une pointe, qui est la pointe même du vaisseau, ainsi le sillage immense des pécheurs s'élargit jusqu'à disparaître et se perdre dans les flots .
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …".
Mais cet immense sillage de pécheurs commence par cette pointe, et c'est cette pointe qui vient vers moi, qui est tournée vers moi . Cette pointe est la pointe même du grand vaisseau et cet pointe de l'immense vaisseau est mon propre Fils chargé de tous les péchés du monde .
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …".
Et la pointe du vaisseau ce sont les deux mains jointes de mon Fils . Et devant le regard de ma colère, et devant le regard de ma justice, ils se sont tous dérobés derrière Lui . Et tout ce long cortège de prières, tout ce long sillage immense s'élargit jusqu'à disparaître et se perdre.
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …".
Mais ce sillage, commence par la pointe et c'est cette pointe qui est tournée vers moi, qui s'avance vers moi . Et cette pointe, ce sont ces trois quatre mots : …Notre Père qui êtes au cieux …Mon Fils en vérité savait ce qu'il faisait .
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …".
Et cette pointe a elle-même une pointe : c'est cette prière, non seulement dans son texte, mais
dans son intention même, la toute première fois que réellement dans le temps elle fut prononcée dans son sourcement, car elle-même fut une naissance de prière .
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …".
Cette prière fut la naissance, l'incarnation de la prière, une prière d'espérance . Une naissance d'espérance, une parole naissante, un rameau et un germe, un bourgeon et une feuille, une fleur et son fruit . Le fruit de la Parole, et la semence de toute parole .
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …".
Ce fut un verbe entre les verbes, cette toute première fois qu'elle sortit charnellement, temporellement des lèvres d'homme de mon Fils Jésus, debout sus le montagne, qui sera célèbre pour les siècles des siècles au dessus de toute vallée .
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …".
Il inventa cela, mon Fils, car il était avec eux, il était comme eux, il était l'un d'eux . Comme un homme qui jette un grand manteau sus ses épaules, il s'est revêtu de tous les péchés du monde, pour dérober de ma face ses frères pécheurs . Voici comment je le vois ce cortège .
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …".
Ce cortège, qui part d'un point, cette extrème pointe tourné vers moi, ce sont ces trois quatre mots que mon fils bien-aimé, a inventé et introduit pour toujours dans la création du monde . Et derrière ce point, s'avance la pointe elle-même, cette prière tout entière : " Notre Père…"
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …".
Et derrière ces trois quatre mots, s'élargit jusqu'à disparaître et se perdre, le sillage des prières innombrables prononcées dans leur texte dans les jours innombrables par les hommes innombrables, les frères de mon Fils bien-aimé .
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …".
Prières du matin, prières du soir, dans les innombrables jours de la création . Prières des moines, prières des laîcs, prières des prêtres, prononcées d'innombrables fois dans les innombrables jours .
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …".
Comme il parlait comme eux, comme il parlait avec eux … toute cette immense flotte de prières, chargées de tous les péchés du monde et de pénitences m'attaque avec l'éperon, cet éperon qui est mon fils bien-aimé . C'est un flotte de charge, de ligne, une flotte de combat .
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …".
Comme ces flottes antiques, cette belle flotte de trirèmes, s'avance sur moi, à l'attaque du Roi . Et moi que voulez-vous que je fasse, je suis attaqué . Et dans cette immense flotte, chaque Notre Père, est un vaiseau de haut bord qui a lui-même son éperon : le cri vers le Père .
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …".
Tourné vers moi, ils s'avancent, et quand un homme a prononcé ces trois quatre mots, il peut se cacher derrière, derrière ces mots que mon fils a prononcé pour l'éternité de mon nom . Et tout derrière ces vaisseaux de haut bord, viennent les voiles des Avé Maria .
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …Je vous salue, Marie …".
Ces vaisseaux de hauts bords, ces galères innocentes, virginales birèmes, qui comme de simples barques, plates, ne blessent point l'humilité de la mer et le calme des flots, mais suivent humbles et fidèles, au ras de l'eau, leur superbe et grand vaisseau .
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …Je vous salue, Marie …".
Il n'a dit que ces trois quatre mots . Il a commencé par faire marcher devant seulement ces humbles mots . Il peut continuer, car moi le Roi, me voici à tout jamais désarmé par ces mots . Mon Fils qui a tant aimé les hommes, tout cela, le savait, car Il me connaissait .
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …Je vous salue, Marie …".
Je vois cette innombrable, cette immense flotte . Et dans son profond sillage, qui commence par cette pointe, tout peu à peu se perd à l'horizon de mon regard . Ils sont tous dans ce sillage, les uns derrières les autres, même ceux qui débordent des ces eaux …
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …Je vous salue, Marie …".
En tête, marche la flotte innombrable des " Notre Père qui êtes au cieux …", fendant et bravant les flots de ma colère . Oui, ils m'attaquent …Ils m'attaquent de leurs prières, de cette prière du " Notre Père ", que mon Fils un jour a prononcé pour ses frères de la terre .
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …Je vous salue, Marie …".
Tous ces hommes pécheurs, tous ces saints marchent derrières mon Fils, derrières les mains jointes de mon Fils bien-aimé . Et eux mêmes, ont les mains jointes comme s'ils fussent mes fils . Oui, en tête, marche la lourde flotte des " Notre Père ", et c'est une flotte innombrable .
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …Je vous salue, Marie …".
Mon Fils leur a tout dit sur le royaume des cieux . Et moi je ne puis rompre cette pointe, cette flotte innombrable qui fend les eaux de l'océan de ma colère, car à coup d'éperon de cette prière si belle : " Notre Père " , ils savent que rien n'est impossible à leur Dieu .
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …Je vous salue, Marie …".
Oui cette puissante flotte de prières traverse l'océan de ma justice, car le plus vaillant, mon Fils, s'est mis devans son vaisseau, et tous, se sont mis derrière lui pour disparaître au regard de ma colère . Ils se sont massés, peureux, autour de lui . Et lui, ses frères, il les protège .
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …Je vous salue, Marie …".
Comme des passereaux timides, ils se sont cachés derrière lui, qui est l'extrème pointe, ces mots mêmes du " Notre Père " . Alors le souffle de ma colère n'a aucune prise contre cette flotte innombrables de prières qui se présente sous cet angle, l'angle, la pierre angle .
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …Je vous salue, Marie …".
Et derrière, arrive cette flotte immense d'Avé Maria, aux voiles si blanches, aussi nombreuses que les étoiles du ciel . Toutes ces prières à la Vierge Marie, sont les blanches caravelles, humbles colombes qui annoncent la paix quand elles mangent le grain dans vos mains .
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …Je vous salue, Marie …".
Elles aussi, ces voilures vêtu de ciel bleu, qui redisent sans cesse ces mots si beaux, à celle qui porta mon Fils, viennent aussi jusqu'à moi, jusqu'au port où je règne moi le Roi de l'univers visible et invisible .
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …Je vous salue, Marie …".
Oui, je les entends, dit Dieu, toutes vos prières, monter vers moi . Celles discrètes dites dans le fonds obscur d'une chapelle, celles dans les cathédrale, celles dans les couvents, la nuit le jour, celles dans les champs, celles des paysans, celles avant un repas, celles qui rompent le pain et signent le vin . Oui je les entends .
Je suis leur Père, dit Dieu …"Notre Père qui êtes aux cieux …Je vous salue, Marie …".
J'entends, dit Dieu, ces prières dites dans les pleurs, mais celles aussi récitées dans la joie . Celles du riche qui donne, celles du pauvre qui a faim . Oui, dit Dieu : " … un homme avait deux fils …" et … cette tendresse du père … ce repentir du fils …et ce regard du frère …Oui, dit Dieu, je mettrais au dessus de tout, vos prières, au dessus de tout vos " Notre Père " et " vos " Je vous Salue Marie … " .
Amen .
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