Un berger des alpes, qui avait passé toute sa vie dans les montagnes, un jour, sentant sa vieillesse arrivée, décida de descendre de ses alpages, et se loua dans un mas de la vallée . Il était un brave homme, honnête et courageux
Il avait vécu sa vie, tout seul, dans les alpages .
Là-haut, retiré, loin, en haute Provence, il ne rencontrait que très peu de gens . Quand il les croisait, il leur parlait volontiers de son travail, de ses bêtes, des loups et du ciel, des étoiles . Dans ces contrées sauvages, il n’y avait pas d’église et encore bien moins de prêtres . Ils passait ses journées à garder son troupeaux, à faire son fromage, son beurre, et à cultiver quelques légumes dans un carré de jardin, derrière sa cabane .
Au fil des années, il avait monté une murette de pierres sèches qui entourait son vieux chalet isolé . Il cuisait son pain dans un four à bois qui tenait à peine droit. Devant sa ferme d’altitude, tout là-haut, écrasée par un toit de lourdes pierres, il pouvait admirait les sommets enneigés, et les profondes vallées verdoyantes . A deux pas de sa porte, à main droite, une source remplissait inlassablement une auge de pierre qui servait d’abreuvoir pour ses bêtes .
Le soir quand il revenait avec ses moutons, qu’il était allé chercher très haut sous les glaciers, il contemplait cette scène biblique, vieille comme l’humanité . Avec ses agneaux, il appartenait au paysage comme les pierres du chemin . Accompagné du gazouillis des eaux de la fontaine, il jouait sur son galoubet d’amandier, des vieux airs d’autrefois . Jusqu’à ce que la nuit recouvre les montagnes de son grand manteau sombre, ses doigts filaient la musique comme d’autres filent la laine. Alors un monde sans âge, tissée d’une culture millénaire, se déployait et s’envolait au gré de la brise du soir . Les échos redisaient à l’infini, le charme de ces vieilles mélodies . Tout prenait vie . La montagne, le torrent, les moutons, tous écoutait cette douce musique venu de nulle part, mais qui gonflait l’âme du brave berger .
Et dès que dans le noir, les étoiles clouaient au ciel leurs mystères, il taisait son flutet, et écoutait souriant, les grillons dans la chaleur du jour qui disparaissait .
Comme il était heureux le brave pastre au milieu de ses moutons . A chaque transhumance, il montait un dizaine de poules pour les œufs . Il vivait là-haut seul avec son âne et son chien, auquel il confiait toutes ses peines, ses joies et ses espérances . Une fois tous les quinze jours, il descendait au hameau chercher de la farine . Sur le dos de son âne, il remplissait ses paniers de tout le nécessaire et remontait vite dans le calme de son alpage .
Le matin et le soir, il faisait feu, car il fait froid à cette altitude .
Dans sa cabane, au sol de terre battue, se tenait, au centre, un poêle en fonte . Sa lessive séchait sur un fil qui pendait au dessus du foyer . Quelques rondins de mélèzes que des bucherons lui avaient laissés, lui servaient de tabourets . Quatre planches clouées sur deux grosses branches de sapins suffisaient pour sa table . Au fonds dans l’obscurité, un grand cadre en bois, recouvert d’une paillasse de feuille de hêtre, lui faisait le meilleur des lits . De la petite fenêtre, quelques rayons de lumière venaient se perdre comme une longue écharpe d’étincelles dorées . Au mur, sur des crochets de bois, tout l’attirail de berger servait d’unique décoration : bât d’âne avec son harnesc, deux brides au œillères cuivrées, des fouets aux courroies usées, un fagot de bâtons, des lambeaux de tissus décolorés . Une forte odeur de camphre, mêlée à l’acide du fromage en feisselles, remplissait sa petite maison d'alpage .
Le brave homme était tout pétri de ces objets qui rythmaient sa vie pastorale et qui déformaient ses mains laborieuses . Quelques chandelles, éparses, figeaient leurs gouttes poussiéreuses un peu partout dans la cabane . Il aimait se reposer et respirer, assis sur le petit banc, devant le fenêtre, bien à l'abri du soleil . Souvent son visage scrutait le ciel comme pour chercher … son Dieu . Bien sur, il ne connaissait rien à la vie de chrétien et aux usages dans les églises . Mais le Seigneur était très fort en lui, et Sa Sainte Présence, partout dans toute plante, dans toutes les petites bestioles, était une évidence qui lui apportait la paix et la sérénité .
Un jour, après qu'il fût descendu de ses montagnes, et qu'il se fût loué pour finir ses jour dans la plaine, son maître, un dimanche, l’envoya à la messe au village, qui se trouvait à cinq kilomètre de la ferme .
- mais que vais-je y faire à la messe ? dit le paure bougre à son maitre . Je ne comprends rien, ni au latin ni au français . Je sais que le patouas .
- A l’église, ils disent la messe . Tu l’écouteras comme les autres . Tu n’auras qu’à répéter ce qu’ils diront .
Il partit donc de bonne heure . Le temps était doux et frais à la fois . Le ciel lumineux, découpait les collines et taillait franc les vallons dont on fauchait les prés . La rosée écrasait encore, au sol, la poussière du chemin . Quelques troupeaux exhalaient leurs odeurs fortes dans les bosquets .
De jeunes bergers qui le connaissaient, vinrent à sa rencontre, et lui demandèrent des conseil, en lui racontant leurs petites aventures : un serpent géant, une pluie d’étoiles filantes, une grotte inconnue, un endroit secret plein de champignons . Le brave vieillard les écouta tous avec son grand sourire .
Tous, il les aimait très fort . En eux, il revoyait sa jeunesse passée . Leurs bâtons sculptés, tendus de rubans colorés, lui rappelait les longues heures dans ses montagnes, où avec son couteau qui glissait sur le bois, il incrustait ses rêves les plus beaux . Tous, alors s’asseyèrent, sous un chêne, et ils discutèrent dans l’écho des sonnailles . A la musique des cloches de leurs troupeaux, qui s’étaient mélangés pour l’occasion, chacun savait si les brebis mangeaient, ou si elles chômaient .
Et allez, les belles histoires, les galéjades, les mystères évoqués à voix basses . A leurs doux visages tendus, on les voyaient partir vers des mondes inconnus . Leurs bérets qui tournoyaient de surprise, leur donnaient tantôt un air de voyou tantôt un air de simplet . Leurs lèvres se pinçaient, puis ils restaient bouche bée . Tantôt ils gesticulaient, la voix bien aiguisée d’accent, et ivre de soleil , tantôt ils baissaient la tête, et se taisaient .
Puis des silences . Oui de grands silences . Des silences épais où l’on se recueille pour écouter la terre qui frisonne . Ils se regardèrent, enveloppé de rien, mais couvert de tant de choses . Tout était dit, car tout existe . L’univers entier venait de se poser à leurs pieds, dans un tourbillon d’une réalité transparente, et vertigineuse . Le ciel se fondit dans les yeux de ces jeunes hommes, car le vieux berger leur en avait ouvert la porte . Alors, le visage baissé, assis en rond, tous saisis d’une forte émotion, ils se regardèrent, les yeux humides puis se levèrent dans ce silence qui résonnaient au loin des cloches du troupeau .
Après une bonne demi-heure passée en sa compagnie, la joyeuse troupe s’éparpilla comme un vol de perdreaux, dans les champs dorées d'aurore . Le berger reprit son chemin et les jeunes, ajustant leur taiole décolorée, empoignèrent leur bâton et s’élancèrent dans les collines en appelant leurs bêtes . Le regard froncé, brûlé de lumière, les bras levés au ciel, ils criaient, ils chantaient, ils dansaient :
- haaa, tsa, tsa,…, vène, vène, vèèèèèène, …., tè d’aqui, tè d’èila,
tè,tè,tèèèèè……drrrrrrrrrtè,tè,tèèèè…vène,vène,vèèèèèèène…. Haaa, tsa,tsa…
Arrivé au village : personne !
Pas une âme qui vive !
Personne dans les jardins, courbés, à piocher la terre .
Personne sur les terrasses !
Des rues désertes !
Seuls quelques vieux mulets, au fonds d’une écurie, dans l'obscurité, faisaient entendre la ferraille de leur chaîne et leur maigre grelot .
- Mais où sont-ils passés ? se demanda le brave homme .
Surpris par ce silence, il monta jusqu’à l’église . Le grand bâtiment de pierres froides arborait un cloché, qui semblait percer la voûte céleste . Vers le ciel, pointait la flèche de sa croix en fer forgée . Il hésita un peu à rentrer, puis d’un geste timide, il pousse la lourde porte . Soudain cinq cent visages burinés, cinq cent paires d’yeux, aussi brillants que ceux des agneaux , la nuit, au fonds d’une bergerie, se tournèrent vers lui, qui osait rompre le silence du saint office .
- A, mon Dieu, les voilà, dit-il rassuré .
- Chut chut… lui sifflaient les autres de leurs voix acides .
Et silencieux, encombré de sa grande cape tapissée de paille, qui sentait le fumier, le berger essaya du mieux qu’il put, le pauvre, d’amoindrir le bruit de ses gros sabots en bois qui résonnaient sur les dalles de la vieille église . Tous se tournèrent vers lui et dirent comme consternés :
- mon Dieu bruit avec ces savates !!!
Et comme c’est l’usage, à cette partie de la messe, ils se frappèrent la poitrine en disant :
- mea culpa .
Le saint homme s’agenouilla, et, comme son maître lui avait recommandé de
redire tout ce qu’il entendrait et de refaire tout ce qu’il verrait, aussitôt il se frappa la poitrine en disant :
- Mea culpa, mon Dieu, cès savates !!!
Alors tous les gens rirent aux éclats comme vous le pouvez penser . Lui, le brave
homme, s’aperçut même pas de leur moquerie, et s’en revint, content comme un pape, par le même chemin . Il n’avait rien compris . aussi il ne cessait de répéter de peur d'oublier :
- Mea culpa, mon Dieu cès savates .
Au moment des Pâques, son maître, qui était un bon chrétien, l’envoya se confesser au curé du village .
De bon matin, il partit dans la froidure, enveloppé de sa grande cape, qu’il recouvrit d’une peau de mouton pour mieux se protéger du gel . Il prit son bâton, sa musette garnie d’un fromageon et d’un quignon de pain dur, puis dans un ciel finissant sa nuit, où les étoiles peu à peu s’évaporaient, il se mit à chanter de vieux cantiques que sa mère fredonnait en patois, dans son enfance, le soir à la veillée .
Quel brave homme !
Il souriait aux anges et la lune, toute ronde, semblait lui répondre .
Déjà la ferme disparaissait dans les brumes matinales .
Les bergers à cette heures lâchaient déjà grand leurs brebis sur les chemins encore obscurs . La rosée ruisselait sur les arbres dénudés, que le printemps n’avait pas encore habillé de neuf . De partout, les cloches des troupeaux remplissaient l’air, déchirant le ciel glacé de givre, et réveillaient la forêt . Le vieux berger, comme enchanté, les oreilles attentives à cette musique céleste, marchait d'un pas régulier . Ses yeux se mouillaient d’émotion, des larmes grosses comme la pluie, coulaient de bonheur sur son visage creusé par les années .
- mon Dieu, que c’est beau, mon Dieu que c’est beau, répétait-il sans cesse . Qué braves petits, avec leurs bêtes … et tant matin !!! Peuchère !
Et de ses yeux troublés, il les signait en secret d’une main fébrile . Quand il
passait, les arbres semblaient se retourner . Les fleurs presque, ouvraient leurs pétales pour le voir . Lui, marchait, les yeux dans ses pensées . Un lapin s’arrêta . Les oreilles tendues, assis sur ses pattes, il écoutait la voix du vieil homme récitant des litanies anciennes . La forêt et les prés, au souffle de la brise matinale, époussetaient la gelée blanche qui les encombrait . Lui toujours marchait . Sa cape toute effrangée, parsemée de brins de paille, dansait dans la lumière du jour tout neuf . Il avançait, courbé, résigné, heureux . Sa silhouette, noueuse comme un vieil arbre, balançait sur le chemin qui s’éclairait, l’ombre d’un monde qui disparaissait . Il marchait comme Abraham, comme si les milliers de brebis, avec lesquelles il avait passé sa vie, ne l’avaient pas quittées .
Péniblement, enfin il arriva au village . Déjà les ruelles étroites et sombres, étaient animées par les troupeaux qui partaient pour la montagne . Tout le monde le saluait . Il était pour eux, comme un mage, mais aussi un brin innocent, il était tellement brave, qu’on le prenait pour un fada .
Arrivé devant l’église, il monta les quatre marches disjointes, et poussant la porte lourde qui grinça, il tomba nez à nez avec Monsieur le Curé .
- tu arrives bien tôt, mon brave ! La messe est seulement dans deux grosses heures .
- mais Monsieur le curé, avant, mon maître voudrait que j’aille à confesse .
- Ah, tu veux que JE te Confesse !
- Oui c’est ça, Monsieur le Curé, c’est bien ça .
- Eh bien, va dans le confessionnal, j’arrive, le temps de mettre mon habit .
Le brave homme encombré de sa lourde cape pleine de rosée, s’installe à genou sur le
Prie-dieu, et attend .
Quelques minutes après, notre curé arriva triomphant, l’air hautain, enroulé dans une aube blanche très vaporeuse . Son étole violette, étincelante de dorures, se balançait au gré de sa démarche sure et volontaire . Il s’assit d’un regard satisfait, arrangea les plis de son bel habit sacerdotal, et fronçant des sourcils en broussailles, dit d’une voix grave et ténébreuse .
- tu connais ton pater ?
- non, réponds timidement le berger .
- OH…, que mauvais bougre… tu connais pas ton pater ??? pas même ton pater, reprit-il finalement furieux ?
- Non, Monsieur le Curé, non, non ... Mais dites… vous, Monsieur le curé… dites, vous sauriez traire, nourrir les agneaux, mataier les sonnailles, couper la queue des brebis malades, que ça, c’est tout le travail du berger ? …dites, è, mon Père…dites moi, vous sauriez faire tout ça, vous ?
- Mais… fit le Prêtre consterné par tant d’ignorance . Alors, oui, alors …que dis-tu le matin quand tu te lèves, puisque tu ne connais même pas ton Pater ? Oui… mais que dis-tu alors ?
- E, bè, le matin, dit le bon berger les yeux levés au ciel, quand je me lève, j’attends que le soleil monte bien haut, et puis dès qu’il se montre, je lui dis : O, Brave Soleil, O Saint Soleil, qué joie tu me donnes ! Alors je danse pour Lui la danse des trois sauts, et je suis heureux d’avoir saluer Celui qui apporte la Lumière .
Et il se mit à danser dans l’église, devant les yeux du curé complètement effrayé .
Voyant tout ceci le prêtre se dit en lui même,
- Le pauvre, il est fada . Mon Dieu, mais qu’est ce que j’ai fait, pour voir un homme tant fada !
Par les vitraux colorés de la petite église, des rayons de lumières dansaient dans
l’obscurité, et semblaient animer les statuts, figées dans la pierre . Ces barres lumineuses donnaient aux cierges des reflets ondulant qui se balançaient dans l'épaisseur glacée des chapelles latérales . On aurait pu croire que des étincelles incandescentes de feu traversaient la nef . Les vieux murs, eux, lézardés par les siècles, attendaient, patient, comme un nouveau miracle .
La vieille église soudain s’emplit de Dieu . Un esprit de sainteté sembla s'emparer du lieu, comme transpirant, suintant depuis les voûtes centenaires jusque sur les vieilles dalles usées . Oui, quelque chose de grand allait se passer . Alors un sourire moqueur pointa sur les lèvres du curé . Le pauvre si il avait su !!!
- dis, brave homme, tu me fais peine, va poser ta lourde cape sur la barre, là-devant, tu seras mieux pour parler …
Et le vieil homme, confiant, se leva, grand, rayonnant, calme comme lumineux . Il détacha sa vieille cape pesante de ses épaules fatiguées , et d’un geste simple et limpide, lança son vêtement sur le rayon de lumière . Aussitôt le manteau resta suspendu dans les airs au milieu de l’Eglise . Tous les saints de plâtre dans leur niche semblaient prendre vie et chanter les louanges du Seigneur .
Le pauvre prêtre, confondu et en larmes, se jeta aux pieds du saint homme et lui demanda pardon .
Le Saint Berger de Dieu, dans un geste plein d'amour et d'humilité, le releva, les yeux mouillés de larmes . Ils prirent un chapelet, et tous deux dans l’obscurité, allèrent s'agenouiller devant le tabernacle, réciter un acte d'Adoration et les mystères du Rosaire .
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