Préface de la première édition
Le titre de ce livre dit assez ce qu’il est Lous Cants de l’Aubo (les Chants de l’Aube),
c’est-à-dire les premiers cris d’un jeune coeur, les premières impressions d’une âme
adolescente, chants naïfs et sincères, éclos aux premiers rayons de la poésie et de
l’amour.
Mais, me dira-t-on, pourquoi chanter dans un langage condamné, de par le progrès, à
l’ostracisme et à la mort? Pourquoi nous offrir le patois ou languedocien, comme vous
l’appelez, quand une autre langue plus heureuse, une et absolue, impose seule ses lois en
France? Pourquoi?...
— Ecoutez, je suis allé moi-même bien souvent interrompre le chantre des bois pour lui
demander pourquoi il déroule, en telle gamme, ses magiques concerts; j’ai dit au vent du
soir pourquoi, en s’endormant dans nos oliviers, il parle telle langue; j’ai interpellé le
ruisseau, coulant sous nos verts châtaigniers, afin de savoir pourquoi il murmure telle
harmonie... Et la source et la brise et l’oiseau n’ont rien répondu à mes indiscrètes
questions. C’est, sans doute, qu’ils sont aussi ignorants que moi, ou bien qu’ils ne m’ont
pas compris; car, je dois le déclarer, je leur ai parlé patois.
Une remarque cependant. Ce pourquoi m’a été adressé bien des fois déjà; mais ce qui
me surprend singulièrement, c’est que les détracteurs les plus violents de notre littérature
sont les premiers à se déclarer les admirateurs des chef-d’oeuvres qu’elle a produits.
Comment concilier des opinions si disparates? Comprenez-vous un zoïle doublé d’un
fanatique?
Il en est d’autres, voire même des méridionaux, qui dénient à notre genre toute valeur
morale et littéraire. Ceux-ci ne nous ont pas lus, ils ne tiennent pas à nous lire, ne nous
comprenant même pas, et, quoi qu’en puissent dire les éminents critiques et les princes
de la poésie de notre commune patrie, ils dénient encore et toujours. Cette classe est
généralement composée des ignorants et des impuissants en littérature. Je n’ai, pour leur
répondre, qu’à leur répéter les paroles d’un remarquable discours, prononcé en l’année
1864, dans la grand salle de l’hôtel de ville d’Aix, devant l’élite de la vieille capitale de
Provence, par M. Bonafous, l’élégant rapporteur du Concours de poésie méridionale,
ouvert par la noble cité qui couronna mon jeune front.
“ C’est donc en vain, (dit le savant professeur de la Faculté des Lettres d’Aix), que vous
cherchez à nous accabler de vos sarcasmes et de vos dédains. Nous sommes debout,
nous trouvons à qui parler, et nos livres se vendent; nous sommes encore assez bons
chrétiens, tout barbares que nous sommes, pour vous souhaiter nos succès.
Et voilà pourquoi nous n’écrivons pas en français! Après tout, de quel droit voudrait-on
nous ravir notre indépendance? Dans notre pays rayol, dans nos sauvages Cévennes,
e s t-ce que tout n’y chante pas comme nous? Nos rochers, nos châtaigniers, notre
Gardon, toute cette nature pittoresque a un type à elle et ne peut inspirer ses poètes que
dans la langue qui lui est propre; ceux-ci, de préférence, aiment à penser, sentir,
s’exprimer en patois, pour dire un mot qui me fera comprendre. Nos tableaux de moeurs
perdraient tout leur charme peints à la française. L’Estelle et Némorin de Florian est
d’un style bien suranné, bien guindé, bien empesé, à côté de la Mireille de Mistral!...
Un retour vers le passé: A l’époque où j’étais écolier chez les bons Frères des Ecoles
Chrétiennes, nos professeurs, propagateurs obligés de l’idée centralisatrice, avaient
imaginé un moyen ingénieux de nous contraindre à n’employer que la langue de
l’Université. Défense formelle nous avait été intimée d’employer en rien le patois, et, à
l’heure de la récréation, celui qui était surpris en flagrant délit recevait, avec une verte
réprimande, un jeton qu’il était dans son intérêt de faire passer, à son tour, au premier
délinquant: lorsque la cloche nous réunissait en classe, l’élève possesseur du jeton
subissait une correction qui ne se bornait pas à la réprimande. Mais, nous, bambins de
douze à quatorze ans, qui ne pouvions guère comprendre le but de ce procédé, nous ne
voyions là qu’un prétexte de plus à exercer notre espièglerie et notre malice enfantines.
Quant à moi, lorsque l’agent cuivré tombait entre mes mains (il y tombait souvent!) je le
mettais au fond de ma poche; puis, soit légèreté, insouciance, ou peut-être bien partipris,
je continuais à jouer avec mes camarades, sans chercher à m’en débarrasser. Cette
manière d’imposer le français quand même fut plus tard abandonnée, vu son résultat
négatif. Et pouvait-il en être autrement? Dès que l’heure de la sortie avait sonné,
fermant, joyeux, la grammaire aux froids principes, comme nous courions, dans la belle
saison, aux bords du Gardon, et, après nous être baignés dans ses ondes fraîches, comme
nous nous roulions, tout nus, dans le sable, à l’ardeur (reganèl) de notre soleil ami, dont
les brûlants baisers maculaient nos épaules! Comme nous jetions avec bonheur aux
échos de nos montagnes les gais propos de notre langage euphonique et pétillant!
Que le lecteur me pardonne ces digressions, futiles en apparence, bien en rapport
cependant avec mon sujet. Elles démontrent qu’il est très difficile de forcer la nature,
d’extirper du coeur d’un peuple le sentiment vivace de sa nationalité. C’est surtout la
langue d’un peuple qui constitue sa nationalité, parce qu’elle résume ses pensées, ses
moeurs, ses croyances, sa vie entière. Et pouvons-nous oublier qui nous sommes et
surtout ce que nous avons été, nous, fils de ces troubadours qui, alors que la langue d’Oc
régnait de la Loire à la Méditerranée et des Alpes à l’Atlantique, s’en allaient traversant
les cours voisines dont ils polissaient la barbarie, aux chants d’une poésie neuve,
originale et riche? Riche, elle l’était: Dante et Pétrarque l’ont reconnue pour telle, eux
qui l’avaient étudiée, et leurs oeuvres témoignent assez de l’influence de notre littérature
sur l’école italienne.
Cette même influence se manifeste sur la grande école espagnole où de grands écrivains
français ont puisé à leur tour: Corneille, qui a pris quelques-unes des beautés capitales
de son Cid dans celui de Guilhem de Castro, en est un exemple entr’ autres.
Mais, ô vicissitudes! la contrée où cette langue, une des plus florissantes de l’Europe,
était née de la civilisation romaine, devait subir l’invasion des barbares franks et
tudesques; cette même langue devait être détrônée par sa rivale d’Outre-Loire, obscure
alors, mais qui, non délaissée comme elle, employée par les Malherbe, les Racine et les
Pascal, est devenue la langue française d’aujourd’hui, correcte et aristocratique!...
Puisque les secrets desseins de Dieu l’ont ainsi voulu, ce n’est pas nous qui nous
plaindrons de la conquête, malgré les souvenirs sanglants de la croisade de Simon de
Montfort et des dragons de Louis XIV nous l’adoptons, cette conquête, et la chantons
même en ce qu’elle a de vrai et de beau; nous savons que chacun, pour sa part, doit
contribuer à la grandeur de notre France, et de ce côté nous nous croyons aussi bons
Français que tous autres. Mais, qu’on y prenne garde, cette centralisation a des excès
qu’il serait sage de modérer; car sa tendance au positivisme, au réalisme, au
matérialisme, pourrait lui être fatale un jour.
Que les esprits chagrins, qui voient avec regret la renaissance de notre littérature, se
rassurent: nous n’avons pas les idées belliqueuses qu’ils nous prêtent. Qu’elle fleurisse
et prime, notre langue française! qu’elle formule les destinées des peuples! nous en
sommes fiers en tant que Français; nous demandons seulement qu’on nous laisse redire
en paix les chants de nos aïeux et parler la langue de nos mères.
Oh parlons-la toujours dans nos foyers, entre parents, entre amis. Ne rougissons pas
d’elle, mais bien plutôt de la manie absurde qui nous pousse à mutiler le français qui
n’en peut mais.
C’est à ceux qui conservent dans leur coeur 1’armour du sot natal et des traditions de nos
pères que s’adressent les poésies que je publie aujourd’hui. Ce cercle est étroit, je le sais.
Celui de la poésie en général ne l’est-il pas? Notre siècle de vapeur, d’électricité et de
fusils à aiguille n’a pas le temps de s’occuper de poésie.
Cependant les nombreuses sympathies que j’ai rencontrées dans mon pays, chez le
peuple, parmi les classes élevées, dans le monde de la haute industrie et de
l’administration, sont une preuve qu’on s’intéresse encore à notre langue populaire.
D’autre part, de célèbres académies ouvrent pour elle des concours, de grandes cités
fêtent ses poètes et les comblent de munificences. Et ceux-ci ne font pas défaut: les
Roumanille, les Mistral, les Aubanel, les Roumieux, toute la noble pléiade des Félibres
ont suscité, dans ces derniers temps, en Provence, un mouvement dans lequel est entré le
Languedoc et qui fixe vivement l’attention du Paris lettré.
Notre pays cévenol ne devait pas rester indifférent à cette impulsion. La possession
authentique des Chartes de 1200 et 1217, monuments de notre langue qui témoignent du
degré de notre civilisation et des splendeurs de nos libertés civiles à cette époque
reculée; le souvenir aussi lointain de Guillemette Montja, cette accorte Alaisienne qui
chantait ici les chansons du troubadour limousin Gaucelm Faidit, son mari, et celui de la
belle Claire, une reine des cours d’amour d’Anduze, arrivant jusqu’à nous comme un
parfum des anciens jours d’Alest et de sa soeur voisine; et ces deux titres de gloire
locale: l’abbé de Sauvages, auteur du Dictionnaire languedocien, et l’inimitable chantre
de Las Castagnados, le marquis de La Fare-Alais, voilà tout autant de stimulants qui
doivent nous faire chérir notre littérature.
Ah! si la jeunesse cévenole, qui, atteinte du mal général, se blase et s’ennuie, pouvait se
pénétrer de mes sentiments, elle ne resterait pas plus longtemps l’esclave d’une certaine
horde mercenaire d’écrivains parisiens dont les productions empestées viennent
jusqu’ici même vicier son coeur et son bon goût; elle ne se laisserait pas mystifier par ces
montreurs de nudités charnues, exploiteurs mercantiles des appétits grossiers du peuple,
et, détournant les yeux de cette boue et repoussant cette coupe dont la boisson donne
une ivresse bestiale, elle ne voudrait contempler que les beautés écloses au soleil de
Dieu, elle ne voudrait boire qu’aux sources éthérées de l’art pur!
Que Dieu fasse bientôt ce miracle! Nous verrons alors nos livres lus avec intérêt; car les
plus sévères les trouveront inspirés du souffle chrétien, les amants chastes n’y
recueilleront que les accents de la passion épurée, et tous y apprendront l’amour et le
respect dus à la famille et à la société.
Après ces considérations générales, je crois utile d’avertir le lecteur sur l’orthographe
que j’ai dû employer dans Lous Cants de l’Aubo. A part l’s du pluriel, qui n’est pas dans
le génie provençal, je n’ai pas hésité à adopter celle de l’école des Félibres, parce que je
la crois la plus vraie, la plus simple et la plus naturelle. D’ailleurs elle a été constamment
suivie par les troubadours, jusqu’à Goudouli inclusivement, et tout ce qui reste des écrits
de la langue romane n’en a pas d’autre. Qu’on lise, dans les Recherches historiques sur
la ville d’Alais, la Charte de zoo, et on y verra une preuve de ce que j’avance.
D’ailleurs, j’affirme que l’orthographe que j’ai suivie est celle qui rend notre langue de
la manière la plus intelligible; je l’affirme d’après les expériences que j’ai faites à ce
sujet. J’ai souvent mis, en effet, sous les yeux de beaucoup de personnes (et de jeunes
enfants même) des compositions provençales et languedociennes écrites avec des
orthographes diverses, et j’ai remarqué qu’en général on lisait avec facilité celles qui
étaient orthographiées à la manière des Félibres, tandis qu’on hésitait à déchiffrer les
autres, avec leur agglomération de lettres et d’accents superflus.
Des maîtres ont tracé la voie que tout écrivain de la langue d’Oc doit suivre, en
indiquant les écarts qu’il faut éviter; c’est donc à eux que j’adresse quiconque voudrait
de plus amples détails. Je fais seulement observer que j’ai conservé aux mots les lettres
étymologiques, désapprouvant ce système qui consiste à écrire juste comme on
prononce, et je conclus en disant que celui qui veut travailler sérieusement à l’oeuvre de
la renaissance de notre littérature doit, en un mot, vouloir écrire une tangue et non un
patois. Or, notre langue, qui est elle, possède, avec son génie et sa syntaxe, une
orthographe qui lui est propre, et, lorsqu’on ne l’observe pas, on enlève à notre
languedocien quelque chose de sa dignité et on le fait alors entrer dans le domaine
humiliant du patois.
Qu’on me permette, avant de clore cette préface forcément prolixe, de venir au-devant
d’une objection qu’on pourra faire contre la langue même employée dans Lous Cants
de l’Aubo.
Les lecteurs de M. de La Fare croiront y voir une entière dissemblance avec celle de Las
Castagnados, mais qu’ils se détrompent, la différence consiste en un si petit nombre de
mots que la nomenclature en serait bientôt faite, et elle est dépendante du genre et du
type de chacun des deux ouvrages.
Je demande pardon aux admirateurs de notre poète rayol d’être obligé de mettre en
parallèle ses oeuvres distinguées avec mes timides essais; mais ils verront qu’il n’y a pas
là de ma part la moindre présomption, s’ils remarquent qu’il s’agit de langue et non de
talents comparés. Quoique savant dans la langue, M. de La Fare a borné son génie
modeste à la peinture vive de tableaux locaux;
il n’a voulu prendre sur le fait que les moeurs rayoles; aussi, on ne peut en disconvenir,
est-il plus artiste que poète. Mais quel artiste! Comme son talent souple a su mettre à
profit toutes les richesses de l’idiome! Quelle fidélité dans les détails les plus
imperceptible! Par cela même, Las Castagnados tiennent inévitablement du cru d’Alais
et de sa banlieue.
Il n’en est pas de même de Lous Cants de l’Aubo, où l’auteur, avec moins de talent et
d’érudition, il est vrai, a fait servir notre langue populaire à 1’expression d’une
poésie plus générale; il a dû, dans ce cas, employer les mots qui sont dans le génie
primitif de l’idiome: paire, maire, fraire, sorre, subre, cadun, tu, cor (coeur), pour n’en
citer que quelques-uns, sont de ce nombre.
Il a pensé que, dans la lyre cévenole, la même corde qui module les chants de la bourrée
et du rigaudon et invite au rire, dans les causeries joviales du coin du feu, peut rendre
aussi les accents langoureux et frémissants de 1’amour et de la douleur. Qu’il ait réussi
ou non, le savoir-faire et non la langue lui ayant fait défaut, il s’en tiendra toujours pour
satisfait; car il a sacrifié à l’avance toute gloire personnelle au profit de sa langue
maternelle qu’il aime tant et à laquelle il sera toujours dévoué.
En terminant, j’engage mes collègues cévenols qui, parce qu’ils se vouent à notre Muse
montagnarde, sont pour moi des amis et des frères, à adopter le système orthographique
dont l’initiative est due aux Félibres et que les publications sérieuses écloses dans ces
derniers temps ont unanimement suivi.
Si tous nos poètes se rangent un jour sous cette bannière, quel beau spectacle présentera
notre antique roman! Le jour qu’on disait être son dernier l’aura vu briller d’un éclat
qu’il n’avait jamais eu, même en ses meilleurs temps; dans ses mille subdivisions un et
constitué, il pourra avoir de longues années encore.
Tel est le cours des choses d’ici-bas! Les splendeurs sont suivies de misères! Le latin de
Cicéron et de Virgile n’est depuis longtemps connu que sous la dénomination de langue
morte; son fils le roman des troubadours se trouve réduit aujourd’hui à la condition de
patois, tandis que le français, frère puîné de ce dernier, porte le sceptre de la civilisation
actuelle. Ah! que Dieu, qui tient en ses mains toutes destinées, malgré les révolutions
diverses que subiront les temps futurs, ne lui réserve pas un sort pareil à celui de la
langue d’Oc!
A. Arnavielle
Alais, Janvier 1868.
Lous Cants de l’Aubo
M’as di: — Fai reviéuta ta lengo maternalo
La faro: Las castegnados
LIBRE I
I
E de soufri siéu jamai las,
E moun tourment es moun soulas.
T. Aubanel
Disièi, quand dins toun amo à la miéuno drouvido
Me laissaves béure l’amour:
S’un cop m’aimaves plus, s’amoussariè ma vido!
Ai! las! deviè rèstre aquel jour!
E pamens sièi pas mort!... Mès se vive, o poulido!
Es la soufranço, aro à soun tour,
Que fai viéure moun cor que, se jamai t’óublido,
Alor finira per toujour.
Sens ges d’esper, es ta pensado
Qu’empuro ma flamo avéusado...
O lagremos! coulas, coulas!
Bagnas, bagnas, de-vers soun caire
Moun mau-d’enduro rousigaire,
Qu’es ma doulou, qu’es moun soulas!
II
Oh! que de fes, tout soul, quand la niuè m’enmantello,
Sièi vengu per canta, sus lou serre, l’estello
Qu’amoundaut vese lusi!
Moun cant, fort, se fai ausi...
Mès sens paraulo demore
Davans tous bèus ièls qu’adore.
Pamens, mai que l’estello an tous ièls de clarta.
D’ounte vèn dounc qu’alor pague pas lous vanta?
Coumo cante toujour l’èli blanc, es ansindo
Que dise ben souvent de la font l’aigo lindo.
Mai que l’éli, que la font
Es blanc e linde toun front.
Mès sens paraulo demore
Davans aquel front qu’adore.
Oh! quand sente moun cor que canto sa bèuta,
D’ounte vèn qùe ma vouès pogue pas lou canta?
Qu’aime dau roussignòu l’armouniouso gamo!
Mès ta vouès me plais mièl, qu’embè l’amour a l’amo.
Vante toujour dins mous vers
Lou cantaire das bos verds,
E sens paraulo demore
Au soun de ta vouès qu’adore.
Oh! ben mièl que l’aucèl que sap, ta vouès, canta!
D’ounte vèn dounc qu’alor pogue pas la vanta?
Oh! save be que siés, poulido creaturo,
Ço que i’a de pu bèu dins touto la naturo;
E de tu, tant que viéura,
Moun amo vau s’abéura!
Se sens paraulo demore
Davans ta bèuta qu’adore,
Bello, se rèste mat quand déurièi te vanta,
Es qu’acò se sentis e noun pot se canta!
III
Toujour, toujour vole te dire
Que siés poulido, moun amour!
De soun obro deguè sourrire
Diéu, quand t’aguè douna lou jour.
Iéu qu’amount, d’aici, te veguère,
De tu moun cor aguè lèu fam:
— Dounas-me-la, moun Diéu! venguère.
— Pren-la, me diguè, moun enfant!
Toujour, toujour vole te dire
Que siés poulido, moun amour!
S’hou vos, endurarai martire
Se, pièi, me laisses, à toun tour,
Abéura dins toun ièl tant tendre
Moun regard amourous dau tiéu,
E se ta vouès me fai entendre
Aquel mot que fai creire en Diéu.
Toujour, toujour vole te dire
Que siés poulido, moun amour!
Dedins mous vers que per tu vire,
Ma vouès t’hou vòu canta toujour...
Mès, pecaire! es trasso ma rimo,
Quand à tu res es pas pariè!
Coumo fara ma voues tant primo
Per te canta coumo déuriè?
Toujour, toujour voudrièi te dire
Que siés poulido, moun amour!
Mes coumo vos que me n’en tire?
Toujour de mots m’atrove court.
Vai, sus ta bouqueto d’anjouno,
Laisso-me que pause un poutou...
E sens parla, mous ièls, mignouno,
Saupran t’hou dire mièl que tout!
IV
Dempièi lou premiè jour, poulido, que veguère
Tous ièls tant bèus, tous ièls ounte à plen got beguère
Un quicon de tant bo, l’amour s’es embauma
Dins moun cor, e dempièi ié fai brula ‘no flamo
Que cade jour tous ièls empùrou dins moun amo:
Teldeto, se vouliès m’aima!...
Se tu saviès de-qu’es aquel fiò que me tuio,
Sariès pas pus, belèu, o divino estatuio!
Frejo e duro per iéu... Ah! moun cor espaima,
Aquel fiò sens esper lou seco coumo un siéure;
Mès lou fiò que lou tuio alor lou fariè viéure,
Teldeto, se vouliès m’aima!...
Me lou fau, toun amour, per viéure... Que la vido,
Avans de te couneisse, èro per iéu poulido!
Ero un rajòu de la, sempre i’ère à chima...
Te veguère, e dempièi la vido m’es amaro;
Mès, ben mai que davans, me sariè douço e claro,
Teldeto, se vouliès m’aima!...
Per gagna toun amour, tè, de-que vos que fague?
Aro se me disiés: — Ta vido fau que l’ague
Après qu’à mous ginouls auras vint ans trima!
Soufririèi mous vint ans; à la fi de ma peno,
Mouririèi à tous pèds, de bonur l’amo pleno,
S’aquel moumen vouliès m’aima!...
Oh! m’aimaras un jour, acò’s dins ma pensado,
E toutes dous, soulets, faren nosto nisado
Dessouto lou cel blu, dins un bos ben rama...
Aqui cantaren Diéu qu’a mes l’amour sus terro!
Mès vese dins tous ièls ço que moun cor espero:
Ié legisse que vos m’aima!...
V
— Digo, ounte vas, moun amigueto?
— Moussu, querre d’aigo en Gardou.
— Vos-ti que porte ta dourqueto?
Vos que t’acoumpagne, Teldou?
— Per tène une dourco es encaro
Moun bras prou fort emai adré;
Sens vous també de l’aigo claro
Trouvarai lou cami tout dre.
Mès veses pas qu’es niuè toutaro?...
Auras pas pòu per t’entourna?
— Pou? moussu, de-que voulès dire?
E pièi s’esclafiguè de rire,
E me diguè bon-vèspre! e caminè tourna...
E iéu, noun sai perqué, l’espinchant s’enana,
Restave aqui planta sens boulega de plaço.
Elo, en virant la tèsto, alor s’escacalasso
De me veire quiha coumo un estève, e zóu!
Courris mai e sa vouès escampo uno cansou
Que vai dereveia l’aucèl dins sa nisado.
S’escapant de darriès sa coifo desnousado,
Sous pèus negres e longs, que panlèvo lou vent,
S’espandissou dins l’èr coumo un ventau; souvent
Van entourtiviha soun col qu’a la pèl blanco,
Ou be, coumo un mantèl, l’acàtou jusqu’à l’anco...
E la dourco e lou bras fàsou balin- balan...
L’aigo manco à l’oustau, també marcho pas plan:
Soun pèd, de tant que vai vivo, lòugièiro e lèsto,
De las flous dau pradet gimblo à peno la tèsto...
Es arrivado au gourg e, sus lou bord dau ro,
Soun cors linge e ben pres se courbo coumo un cro.
Ausiguère lou brut que faguè la dourqueto
En cabussant dedins aquelo aigo fresqueto.
Ero ben escabour quand repassè tourna:
— Tè, sès encaro aqui? vous sès pas enana?
De-que pot rèstre acò qu’aqui vous empastello?...
— De- que me tèn aqui? Iéu adore uno estello;
Aquelo estello es tu... Me gararièi jamai
Tant que sariès aici! — Iéu, uno estello?.. — E mai
La drolo, en me quitant, s’esclafiguè de rire;
Coumprenguè pas, l’enfant, ço qu’avièi vougu dire.
Fouligaudo, en cantant, gagnè lèu soun oustau;
La veguère pas pus quand barrè lou pourtau...
Mès sa visto èro aqui dins moun cor arrapado!...
Entramen, sus lous bos la niuèch èro toumbado,
E la terro èro siavo, e lou cèl estela;
La luno, en resquihant darriès un nivou cla,
Dins la croto d’azur, larjo, s’èro espandido...
Ma pensado adeja vers Diéu s’èro gandido;
Car dau bonur que toumbo à soun amo en repaus,
L’ome à Diéu, de quau vèn, toujour n’en mando un pau:
Ansindo fai la flou que tout lou jour acampo
Lou perfum dins soun se, mès pièi, lou sèr, l’escampo
Au cèl d’ounte, per elo, èro au mati vengu
Dins soun calice blanc aue l’aviè lèu begu.
De l’ange qu’avièi vist moun amo èro amourouso;
A parti d’aquel jour se poudiè creire urouso...
Enfant, oh! per-de-qué vouguères pas m’aima?...
I’a pas pus de bonur per moun cor espaima!
VI
T’aime, tu m’aimes iéu; alor coumo se fai
Què moun cor toujour crido: — Ai! moun Diéu!que soufrisse!
E d’ounte vèn també que semblo que mourisse,
Chaco fes que vers tu ma pensado s’envai?
Oi, t’aime que-noun-sai!... Souto tous ièls, poulido,
Quand l’espinches, moun cor, lou vese tout douvèrt,
Coumo, dins l’aigagnau, lou boutou tendre e vèrd
Vèn, as rais dau sourel, bello roso espelido.
Milo fes iéu t’ai dich e t’hou dirai toujour:
— T’aime, poulido, t’aime! o Teldeto! que t’aime!
A forço de t’hou dire, à tous pèds quand m’espaime,
Me reviscoules lèu emb’un poutou d’amour!
Mès d’ounte vèn alor que de l’amour la flamo,
Que chabusclo moun cor, fai sourti mai d’un plou
De moun amo qu’escampo un grand crid de doulou,
Coumo se sentissiè lou pounchou d’uno lamo?
Pamens, aquel amour, moun ange, hou saves bé,
Emb’el porto pas res, res de ço que mascaro;
Nous es vengu dau cèl, ié pot remounta ‘ncaro,
Que n’es digne toujour, qu’es ben cande... També,
Quand de nous caligna fasèn toutes dous fèsto,
De tout ço que disèn, de nostes poutounets,
Pòdou n’èstre temouins, nostes bons anjounets:
Res de mau lus fai pas jamai vira la tèsto.
Es, sai-que, per acò, qu’aquelo flamo déu,
Déu voudre, en s’endinnant, rèndre moun amo lindo,
E ben blanco e sens ges de deco, per qu’ansindo
L’amour, sens mescladis, demore soul en iéu.
Dedins l’oulo d’argèlo, au fiò viéu qu’on soubraso,
Tout ço que, dau caiau que fai caupre un tresor,
Es impur e vau res, se found e, soulet, l’or
Demoro e trelusis quand s’amousso la braso.
E moun crid de doulou vejaqui d’ounte vèn;
E se me plase, iéu, dins aquel mau-d’enduro,
Es qu’alor moun amour per lou cèl s’amaduro,
Chaco fes que vers tu ma pensado revèn.
Car nous es pas douna, pauvres, aici-dessouto,
De chourla tout l’amour, jusqu’au fin-founs dau got...
Mès se perdèn esper, remembren-nous d’acò,
Ou’au cel pourren sens fi lou chima gouto à gouto.
Sus la terro nosto amo, empegado au limoun,
Ié soufris... D’abord que ié sèn pas à noste aise,
Per que pouguen tasta l’amour que iéu pantaise,
O Diéu! fai qu’anen lèu toutes dous ailamount!
Acoumençant aici soulamen de l’escriéure,
Lou libre de l’amour que reprendren au cel:
Aquel libre, o Teldeto, a pas de darriè fièl,
E savèn qu’amoundaut on ié déu toujour viéure!
VII
Souvent, de bon mati, m’envau, à l’aubo fresco,
Iéu m’envau acampa de vers per mas cansous:
De l’abeio, qu’on vei raubant, per fa sa bresco,
De las flous lous perfums, seguisse las liçous.
Quand lou sourel, nega dins l’aubo,
Avans de se leva rèsto un briéu escoundu,
Iéu dise, en l’espinchant souto sa blanco raubo
O moun amigueto, acò ‘s tu!
Que de cops ai de flous clafi ma canastello!
Las aime tant las flous! las vèire es moun plesi...
Adore subretout aquelo blanco estello
Que toujour à despart, dins lou prat, vòu lusi.
Quand la vese, la margarido,
En cantant sa blancou, soun perfum, sa vertu,
La boute sus moun cor qu’à tu pènso e te crido:
O moun amigueto, acò ‘s tu!
De fes, dins mous pantais, vers iéu davalo un ange
Qu’en me parant la man, me sono soun ami;
Sa vouès, sa douço vouès sent bo coumo un irange...
Pièi ensèn caminan long d’un poulit cami.
Las de la vido, ai l’amo routo.
Mès sus soun cami d’el sièi jamais arredu;
Car l’ange que se fai moun coumpagnou de routo,
O moun amigueto, acò ‘s tu!
Es be segu que siés coumo l’aubo poulido,
Umblo e richo à la fes coumo la dou dau prat,
Mès de moun bèu pantai la causo es mens soulido...
Oh! baste que toun cor, enfant, quand la saupra,
La rendeguèsse vertadièiro,
Que lou sounge qu’ai fa seguèsse pas perdu...
Iéu te dirièi alor, touto ma vido entièiro:
Amigo, lou bonur es tu!
VIII
Oh! laisso ansin ma man dedins ta man,
Oh! laisso ansin mous ièls, jusqu’à deman,
Nega dins tous ièls, Teldeto!
Oh! laisso ansin moun cor prene soun vol
Sus tas bouquetos, que de tu sièi fol...
M’enfachines, o fadeto!
Oh! laisso-me senti lou perfum dous
Que tout toun cors flouri trais sentadous!
Per moun aureio qu’escouto,
Oh! 1aisso brounzina lou long acord
Que fait ta poulidesso e que moun cor,
Que n’a se, béu gouto à gouto.
Oh! laisso de tous pèus, plèjo de Mai,
S’entourtiha moun amo encaro mai!
L’escaiuèrnes coumo l’aubo,
E d’aqui, rescoundado, elo auso mièl
T’espincha: fai ansin das fiocs dau cèl
L’aucèl dins l’oumbro d’une aubo.
Oh! laisso à moun amour douvèrt lou cot
Quand, parlaire rajou, te dis acò:
— Ah! t’aime!... e qu’aqui demore,
Embriaiga de te veire e te bada,
Sens estre jamai las de regarda!...
Ah! se Diéu fa’ qu’aro more,
Après tant de bonur, en Paradis
Voudra-ti me bouta?... Sil tout me dis
Qu’en El deve avé fisanço;
E crese meme, iéu, que noste amour,
Dau bonur qu’on déu béure au dous sejour,
N’es aici l’acoumençanço!
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